
1er mai : à quand une fête du Temps libéré ?
Le 01/05/25
Par Azelma Sigaux, oratrice nationale de la Révolution Écologique pour le Vivant
La Journée internationale de lutte des travailleuses et des travailleurs est l’occasion de rappeler les revendications ouvrières élémentaires. Hausse des salaires, baisse de l’âge du départ à la retraite ou encore protection de l’emploi : il est avant tout question d’une activité pérenne, d’un poste décent et de revenus dignes. Loin de la fête du Travail voulue par le régime de Vichy, la traditionnelle mobilisation du 1er mai perdure précisément parce que le travail, dans notre société, n’a rien d’une fête. Mais pourtant, on s’accroche à l’idée d’y tendre grâce à de petites victoires durement gagnées. Malgré les drames et la pénibilité, on prône la “valeur travail” à droite comme à gauche de l’échiquier politique, comme si notre activité professionnelle nous caractérisait absolument, comme si elle devait forcément définir notre source de bonheur, qu’elle qu’en soit la réalité.
Et si, au contraire, le bien-être collectif et individuel naissait d’une réinvention totale de notre vision du travail ? Et si, au lieu de célébrer la projection d’une réforme à la marge, on fêtait la libération du temps pour soi ? Alors ce temps, qui jusque-là se voyait confisquer par les carrières, ne ferait plus l’objet d’un seul hommage par an, mais de chaque journée qui compose notre existence. Car il redonnerait l’éclat et la douce lenteur qui manque à nos vies, mais aussi la force de bâtir une société enfin respectueuse du vivant.
Travailler pour vivre et mourir au travail : et la vie dans tout ça ?
69 101, c’est au bas mot le nombre d’heures passées à travailler pour toucher une retraite à taux plein. Prenons le cas d’une personne qui dormirait 7 heures par nuit, passerait 1 heure par jour dans les transports pour se rendre à son poste et s’attélerait aux tâches domestiques 3 heures dans sa journée (moyenne pour une femme, selon l’Insee (1)). Cette personne passerait ainsi près de 65% de son temps d’éveil à travailler. Ajoutons à cela les années d’école et d’études supérieures, le taux ahurissant de 25% de mortalité avant d’atteindre la retraite chez les plus pauvres (2), les 50 700 maladies professionnelles par an (3) et les nombreux suicides pour raisons professionnelles ; la conclusion est alors édifiante : nous travaillons pour vivre, mais nous mourrons à travailler sans même pouvoir profiter pleinement de la vie.
S’occuper de nos enfants, l’un des enjeux du temps libéré
Cette absurdité est d’autant plus flagrante qu’elle démarre dès la plus tendre enfance. La réforme productiviste souhaitée par Emmanuel Macron prévue pour 2026 en est l’illustration. Le congé de naissance obligera alors les parents à retourner travailler au plus tard 6 mois seulement (contre 3 ans actuellement pour une allocation dérisoire) après la venue au monde de nos bébés. Les parents solos ou qui n’ont pas d’autre source de revenus devront, comme aujourd’hui, reprendre le travail à peine 10 semaines après l’accouchement, à la fin du congé maternité. Cette démarche forcée entre en contradiction avec les recommandations de l’ANSES, qui conseille d’allaiter les enfants durant au moins 6 mois. Elle piétine aussi les conclusions d’une étude sérieuse qui révèle qu’une reprise de l’activité professionnelle de la mère avant le premier anniversaire de son enfant porte préjudice au développement de celui-ci (4).
Au-delà de l’aspect sanitaire, sur le plan philosophique aussi, cette politique questionne : à quoi bon faire des enfants si on les confie à d’autres ? Notre système ubuesque pousse ainsi les parents à travailler pour pouvoir notamment rémunérer une tierce personne chargée de s’en occuper à leur place. Certains pays voisins montrent pourtant qu’il est possible d’imaginer des modèles différents : en Suède par exemple, le congé parental est de 480 jours et peut être réparti entre les deux parents, avec un salaire maintenu à près de 80% les 300 premiers jours.
Un congé parental éthique n’est donc pas une utopie, c’est une nécessité envisageable, qui serait d’ailleurs l’une des grandes étapes de la libération de notre temps et de la lutte contre l’inégalité femmes-hommes.
Travailler moins : le sens de l’histoire
Libérer le temps volé par les heures et années de labeur, c’est aussi une nécessité sanitaire et sociale. La hausse des burnouts, des maladies professionnelles, des accidents de travail et des pensées suicidaires des travailleurs, notamment chez les agriculteurs, prouve en effet que le “travailler plus pour gagner plus” est un leurre. Cette course effrénée aux heures supplémentaires combinée au report permanent de l’âge de départ à la retraite est au contraire l’assurance de tout perdre, à commencer par nos vies. Et alors que les machines et l’intelligence artificielle remplacent peu à peu les humains, que la surpopulation est une réalité et que la production n’a jamais été aussi importante, il semble absolument illogique de chercher à travailler plus alors que l’emploi manque. C’est mathématique.
Le sens de l’histoire nous montre une direction inverse : nous avons le devoir moral de réduire notre temps passé au travail. Il en va du bon sens économique, mais également écologique. Car la croissance à tout rompre, encensée par le capitalisme, est un fléau pour le climat et le vivant. Nous devons tendre vers la sobriété, et cela passe par la décroissance, donc par une réduction drastique de la cadence productiviste. Les heures ainsi gagnées à ne pas travailler ne seront pas synonyme de paresse, comme la caricature le prétend, mais au contraire à l’intérêt général. Car ces précieux moments retrouvés seront autant d’occasions de s’occuper de son entourage et de sa propre santé (ce qui représente, en plus, des économies pour l’État), mais aussi de se cultiver, d’apprendre ou encore de s’engager politiquement ou bénévolement dans des associations. Le temps, libéré de la “valeur travail”, redonne toute la valeur à la vie et aspire à une société nouvelle, plus humaine.
Instaurer un revenu d’existence
Qui dit temps libéré ne dit pas pauvreté. Bien au contraire. Cette idée révolutionnaire s’accompagne inévitablement d’une autre transformation : celle de notre modèle social. Un revenu d’existence fixe et équitable contre seulement quelques heures de travail par semaine (la REV en propose vingt par semaine pour 2000 euros par mois), permettrait à la fois de vaincre les inégalités tout en offrant la liberté à chacun de disposer de son temps en pleine conscience. Délesté des inquiétudes primaires consistant à se nourrir, se loger, se mouvoir ou encore se vêtir, chaque individu pourrait ainsi repenser son temps libre hors du prisme économique. L’occasion de s’investir dans des activités utiles et plaisantes avec une véritable motivation, celle du cœur. Et si certains veulent alors travailler plus, ce sera possible, mais plus une question de survie.
Alors, à quand un 1er mai, qui telle la blancheur du muguet, célébrera une vision renouvelée du travail et l’espoir d’une vie retrouvée ?
(1)
https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303232/es478h.pdf
(3)
https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4238781/FPORSOC19.pdf
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