
Billet d'humeur à l'attention des "bouffeurs de Végans"
Le 05/08/18
Par Valérie Manuelli-Chauvin, adhérente REV région PACA
Deux-cent-mille-quatre-cent-cinquante-six. Voilà en moyenne le nombre d'insultes proférées quotidiennement sur les réseaux sociaux, d'après une étude réalisée en 2015 et intitulée "24 heures de haine sur internet" (1). L’Homo Injurius n’a jamais été si volubile et impétueux que depuis que la Toile offre à sa véhémence le confort de l’anonymat et la quiétude de l’impunité. Sa disposition à dénigrer, calomnier, bafouer…celui qui n’a ni le bon sens ni le bon goût de lui ressembler en tous points et de partager chacune de ses idées est véritablement infinie. Depuis quelques années, on assiste à l’émergence d’une nouvelle cible : les «végé» (terme générique qui désigne les végétariens et végétaliens éthiques).
La végéphobie en plein essor
Apparu en 2001 dans le manifeste de la Veggie Pride (2), le mot "végéphobie" recouvre aujourd'hui un phénomène de rejet d'une telle ampleur et d'une telle virulence qu'il ne devrait guère tarder à entrer dans le dictionnaire. Cette hostilité se manifeste par un arsenal d'insultes, de moqueries, de caricatures ... visant à discréditer, diffamer et ridiculiser le végé en l'assimilant, pêle-mêle, à un malade mental, un faible d'esprit endoctriné, un utopiste niaiseux gouverné par sa sensiblerie, un dangereux terroriste, un individu souffreteux condamné à une mort précoce à force de carences... Une fois encore, c'est sur les réseaux sociaux que s'organise le mieux cette vaste cabale et que l'on "bouffe" du végé jusqu'à l'indigestion.
Ainsi, sur facebook, twitter et consort, des groupes anti-vegan se sont constitués, invitant tous les carnivores à "rejoindre la lutte" contre cette "communauté toxique et ridicule", ces "hippies à la con", ces "décérébrés carencés", ces "déficients mentaux", ces "témoins de Jéhovah alimentaires", ces "brouteurs de luzerne"... En l’occurrence, la "lutte" est unilatérale et relève davantage du peloton d'exécution. Ces pages ne contiennent majoritairement aucun raisonnement, aucune argumentation, n'accueillent aucun débat contradictoire. Dédiées aux seuls végéphobes, elles leur offrent un espace de défoulement et leur permet d'expectorer la haine qui les étouffe comme un os de poulet coincé dans leur gorge.
Humour scabreux
Sous l'anti-véganisme primaire, on sent poindre une nette aversion pour d'autres humanismes, et affleurer la brutalité crasse de celui qui s'accroche certes à son steak, mais aussi à sa position de dominant et à son statut d'oppresseur. Les femmes végé y sont particulièrement ciblées, avec force grivoiserie. On les dépeint comme zoophiles, on se gausse de leurs galipettes avec des animaux, ou de leurs plaisirs solitaires avec un concombre. On s'esclaffe de l'impact de leur véganisme sur leur sexualité, hurlant de rire à l'idée qu'elles ne puissent ni "sucer" (se refusant à avoir de la viande dans la bouche) ni encore moins "avaler" ... On y détourne une photo représentant un garçonnet et sa mère, en prêtant à l'enfant la réplique : "Puisque tu es végane, ça te dirait de me dégorger l'endive ?". Les membres réjouis likent unanimement un dessin sur lequel un doigt humain hésite entre deux boutons nucléaires, le premier commandant l'extermination des végan, le second celle des féministes. CQFD.
Plus indigne encore : on utilise éhontément des images poignantes de personnes faméliques (consumées par la dénutrition ou rongées par la maladie) en leur accolant la légende: Je suis végan depuis deux mois. On y parle bien sûr de la souffrance indicible de la fleur quand on la cueille ou de la carotte quand on la récolte, tout en postant des photos d'animaux suppliciés, accompagnées de commentaires ravis et goguenards, pour bien montrer qu'on se contrefout de la souffrance animale, et qu'on la trouve même franchement désopilante. Bref, on se fend la poire ! Surtout quand un membre alimente la conversation d'un hilarant "Je m'ennuie, je vais aller lancer des steaks sur des végans !".
Du net aux plateaux TV
Mais laissons-là les rustres du web... pour constater qu'en dépit d'un langage moins vulgaire et d'un ton plus courtois, les anti-végé «assermentés», ceux que l'on convie sur les plateaux TV, sont à ce point dépourvus d'arguments qu'ils sombrent eux-mêmes facilement dans l'ineptie et la trivialité. Quand, au cours d'un pseudo-débat, un contradicteur émérite rétorque à Aymeric Caron : "Je ne vous empêche pas de manger des pâquerettes si ça vous chante mais laissez-moi manger de la viande" ou "Je deviendrai végan quand les lions mangeront de la salade", en pouffant dans sa barbe et en se rengorgeant de sa propre spiritualité... il n'élève guère le niveau.
Alors une question s'impose : les végé représentent actuellement 5 % de la population française. Comment une minorité peut-elle susciter autant d'hostilité ? Et donc, de toute évidence, autant de peur ? Car si certains carnivores se radicalisent au point de sombrer dans la végéphobie, c'est bien qu'ils se considèrent comme menacés. Et ils n'ont pas tort...
Les végé : une communauté en pleine expansion
Aussi marginal soit-il encore, le véganisme bénéficie aujourd'hui d'une visibilité nouvelle et d'un statut de «phénomène sociétal» en pleine expansion. Jamais on ne lui a offert autant de tribunes. Jamais autant d'articles, d'émissions, de reportages, de débats télévisés... n'ont été consacrés à ce sujet. Les opposants sont d'autant plus inquiets qu'ils savent le contexte favorable à une révolution alimentaire : une catastrophe écologique planétaire (l'élevage est un des principaux facteurs de pollution, de dérèglement climatique et de déforestation), des scandales sanitaires récurrents liés à la consommation de viande ou de produits laitiers, ou encore la famine dans le monde (70% des terres agricoles servent à la culture de céréales destinées à nourrir les animaux d'élevage, au détriment de l'alimentation humaine).
Et bien sûr, les considérations morales... Les médias et la société dans son ensemble se sont emparés de la question que le véganisme soulève : l'Homme a t-il le droit, pour son seul plaisir, de maltraiter et d'assassiner des animaux, c'est à dire des êtres vivants, sensibles, doués d'émotions et ayant le profond désir de vivre ? Une question enfin audible, enfin admise comme légitime et pertinente.
La morale qui dérange
Or, c'est bien la motivation éthique qui suscite le plus d'acrimonie chez le végéphobe. Il absoudrait volontiers le végé si son abstinence découlait d'une simple préférence gustative... Mais il ne supporte pas qu'on convoque la morale à sa table. Il appartient à cette catégorie d'humains qui n'a jamais été très à l'aise avec la morale dès lors qu'elle contrariait ses intérêts et désirs personnels. Pour autant, le végéphobe sait bien que tous les humains n'ont pas sa capacité à s'affranchir de la déontologie. Qu'en visionnant les images d'abattoirs tournées par L 214, certains perdront l’appétit.
Et réaliseront qu'en désignant l'animal comme «espèce inférieure exploitable et martyrisable à merci», l'Homme fait bégayer l'Histoire et abjure la qualité dont il s'enorgueillit le plus et dont il tire sa prétendue suprématie : la conscience. Disons que l'aphorisme du philosophe Theodor W. Adorno, "Auschwitz commence partout où quelqu'un regarde un abattoir et pense : ce sont seulement des animaux", ne manquera pas de trouver une résonance particulière aux oreilles des moins cyniques et des moins impitoyables. Le végéphobe a peur que, si on ne la muselle pas, cette "communauté toxique et ridicule" ne fasse des émules et ne prospère inexorablement. Il redoute que ne se vérifie la prédiction de l’anthropologue Margaret Mead : "Ne doutez jamais qu'un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c'est toujours ainsi que le monde a changé". Et il a raison : 5 % des Français sont végé, mais 10 % aspirent à le devenir dans les meilleurs délais.
Le REV ne questionne pas ses adhérents sur leur régime alimentaire et n'exige pas qu'ils soient végé. En toute logique, le REV suppose que ses membres ont, a minima, entamé une réflexion et opéré une prise de conscience sur le sujet. Le REV a inscrit dans son programme la fin de l'élevage et de la consommation de produits d'origine animale, et donc la fermeture des abattoirs. Étant entendu qu'une telle révolution éthique et écologique s'étalera sur plusieurs générations, laissant aux individus le temps de cheminer à leur rythme vers une alimentation végétale. Et laissant à tous professionnels vivant de l'industrie de la viande le temps d'opérer une reconversion.
(1) Étude réalisée du 22 au 23 janvier 2015 par l'agence d'analyse du web Kantar Media.
(2) La Veggie Pride est un festival anti-spéciste organisé à Paris depuis 2001. La prochaine édition se déroulera les 21, 22 et 23 septembre prochains, le REV y aura un stand.
Rédigé par David Olivier, le manifeste pour la Veggie Pride en 2001 a servi de plate-forme jusqu’en 2015.
A suivre : Paroles d'illustres végés
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