Loi d’orientation agricole : quel avenir pour l’agriculture française ? | par Astrid Prévost, membre REV
Le 27/03/23
En 2023, un temps fort politique se dessine autour de la Loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ce texte délimitera la politique agro-alimentaire nationale à l’horizon de 2040.L’objectif annoncé est de répondre aux défis auxquels l’agriculture doit faire face en termes d'attractivité pour les jeunes, de souveraineté alimentaire, et d’écoresponsabilité. À la REV, parti assurément abolitionniste, nous défendons une rupture totale avec le modèle agricole actuel et prônons la végétalisation de l’alimentation et de l’agriculture. Notre programme ambitieux (fin des pesticides, refonte de la Politique Agricole Commune, soutien à la permaculture et à l’agroécologie…) répond à l’urgence écologique signalée par les experts. Tous les rapports scientifiques sur le climat et la biodiversité démontrent en effet que la fin de l’agriculture intensive, et a fortiori de l’élevage industriel, est une étape fondamentale pour à la fois limiter les émissions de CO2, préserver l’eau et protéger le vivant. La loi d’orientation agricole doit aller dans le sens de cette réalité et nous en appelons à la responsabilité du gouvernement, et en particulier du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau.
Le modèle agricole français : entre chauvinisme et intensification
L’agriculture est responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre du pays¹, ce qui en fait le secteur le plus émetteur après les transports au niveau national. La biodiversité est également un critère majeur pour évaluer la santé d’un écosystème et, durant les 30 dernières années en France, les populations d’oiseaux ont davantage décliné dans les milieux ruraux que dans les milieux urbains², ce qui laisse à penser que le modèle agricole actuel est largement responsable de cette détérioration.
Au sein du secteur agricole, l’élevage est responsable des ¾ des émissions de gaz à effet de serre. Il mobilise plus de 70% des terres arables en Europe à la fois pour le pâturage et pour la production de nourriture à destination du bétail, et nécessite toujours l’importation de gros volumes de céréales et de légumineuses avec, par exemple, l’importation de 2,8 millions de tonnes de soja par an³, pour l’engraissement des animaux.
En plus de ces conséquences environnementales, l’élevage est un secteur économique sous perfusion⁴ constante d’aides et de subventions, et malgré les importants moyens financiers alloués, issus des deniers publics, les éleveurs ne vivent pas correctement de leur activité tandis qu’ils se retrouvent pris en tenaille entre la concurrence intra européenne et internationale, la pression aux prix bas des distributeurs et les incitations aux investissements surendettants pour répondre aux nouvelles normes dites écologiques ou de bien-être animal.
Malgré cela, l’élevage est toujours vanté et mis en avant dans toutes les concertations autour de cette future loi. Tous les problèmes liés à l’élevage seraient uniquement dus au système intensif, et certaines personnalités politiques affirment que “l’élevage intensif n’existe pas en France”.
Pourtant, 80% des animaux de rente sont élevés dans des conditions intensives dans l’Hexagone. Le chercheur en économie Romain Espinosa affirme quant à lui que l’élevage français est à la fois de petite taille et intensif. En effet, le système intensif ne se définit pas par le nombre d’animaux détenus, mais par les conditions dans lesquelles ils sont détenus. En cela, les élevages bretons de 270 cochons en moyenne ne diffèrent en rien de l’usine à porcs de 650 000 animaux qui a vu le jour en Chine en 2022. Cages de contention, castration à vif, confinement induisant des comportements agressifs chez les animaux, qui servent à justifier la pratique du meulage des dents et de la section de la queue (toujours à vif), au nom du bien-être et de la santé des animaux. Tout cela se produit bel et bien en France, de façon tout à fait légale dans des “petits élevages” comme dans des plus grands.
Réduire le cheptel français : une solution à échelle humaine
Une réduction drastique des productions animales est incontournable pour répondre à l’urgence environnementale ainsi qu’aux enjeux éthiques dont tout le monde semble désormais se soucier. Une inquiétude demeure toutefois : la préoccupation économique. Qu’en sera-t-il des éleveurs si nous nous dirigeons vers une réduction du cheptel français ?Tout d’abord, 1 éleveur sur 2 sera amené.e à partir à la retraite dans les dix années à venir.
Comme le préconise le scénario Afterres⁵, développé par l’association Solagro (division par 2 à l’horizon 2050). D’après la modélisation Afterres, une telle réduction permet de diviser par 2 les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, conformément aux accords de Paris, tout en créant 125 000 emplois (ETP) et en augmentant le revenu agricole net.
Ce changement de paradigme permettrait d’accorder la production alimentaire nationale avec les recommandations de santé publique de réduction de consommation de viande, et d’augmentation des sources de protéines végétales dans nos assiettes, donnant ainsi plus de sens au travail des personnes qui produisent notre nourriture. Au vu des volumes de production de végétaux à destination de l’alimentation animale, une telle transition permettrait également une désindustrialisation de l’agriculture dans son ensemble, avec un recul des monocultures gourmandes en intrants chimiques au profit d’exploitations plus petites sur un modèle d’agro-écologie.
Alors qu’un éleveur sur deux a aujourd’hui plus de 55 ans, et sera amené à partir à la retraite dans les 10 années à venir, nous avons actuellement la possibilité de nous saisir de cette opportunité pour orienter dès maintenant, et sans surcoût de reconversion, les jeunes générations d’agriculteurs encore en formation vers les productions végétales qui sont plus rémunératrices et plus respectueuses.
La loi d’orientation et d’avenir agricoles, pour réellement satisfaire à la notion d’"avenir” qu’elle porte en son titre, doit adresser cette nécessité de réduction du cheptel avec rigueur et ambition, et mettre en place les mesures nécessaires pour satisfaire aux enjeux éthiques, environnementaux et sociaux en lien avec l’agriculture. Astrid Prévost, membre de la REV
¹ https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-de-l-agriculture² https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/congres-mondial-de-la-nature-quatre-chiffres-qui-montrent-l-effondrement-de-la-biodiversite_4758637.html³ https://www.pleinchamp.com/actualite/elevage~nutrition-animale-en-2018-la-france-a-importe-environ-2-8-millions-de-tonnes-de-tourteaux-de-soja⁴ https://www.cairn.info/revue-pour-2016-3-page-59.htm⁵ https://afterres2050.solagro.org/decouvrir/scenario/
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