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Par Victor Lambert, rédacteur pour la REV

 

Le projet de loi dit “plein emploi” sera examiné à l’Assemblée nationale ce mardi 14 novembre. Malheureusement, l’issue du vote est déjà connue. En effet, dans la plus grande discrétion et à la faveur d’une actualité très chargée, le gouvernement a réussi à obtenir un accord avec les Républicains. Pour obtenir cet accord, le gouvernement a cédé aux demandes les plus droitières de l’hémicycle. Il en découle un durcissement très sévère du texte. 

En dépit du silence des médias et du flou entretenu sur les contours de la réforme, nous considérons qu’il est primordial d’alerter l’opinion publique de la brutalité du choc à venir pour l’ensemble des privé·e·s d’emploi. 

Le chantage des Républicains aboutit à un texte d’une violence inouïe

Le projet de loi originellement prévu par le gouvernement était déjà marqué du sceau du libéralisme décomplexé. Il s’agissait dès le départ de stigmatiser les plus précaires en conditionnant le versement du RSA à un certain nombre d’heures d’activité obligatoire. 

Déjà à l’époque, les oppositions ont tenté d’alerter l’opinion sur cette déclaration de guerre aux plus fragiles. Il s’agissait bel et bien de forcer les allocataires du RSA à travailler sans nouvelle contrepartie et sous la menace d’une suppression de leur maigre allocation. Dans le même temps, le patronat pourrait bénéficier d’une main d'œuvre contrainte et sous payée (bien en dessous du salaire horaire minimum). 

Les élu·e·s des Républicains ont été sollicité·e·s pour voter le texte afin d’éviter un énième passage en force du gouvernement. En position de force, les Républicains en ont profité pour marquer leur différence et durcir un texte. Et c’est ainsi, après quelques réunions et échanges parlementaires, à la faveur d’un flou dans les termes et d’une actualité chargée, qu’est né un projet de loi encore plus brutal que prévu. 

Nous n’avons pas l’ambition de revenir sur l’intégralité des changements introduits dans ce projet de loi complexe et transversal. Cependant, face aux conséquences sociales dramatiques que sa mise en œuvre entraînerait, nous vous invitons à prendre connaissance des éléments que nous jugeons les plus inquiétants. 

Toutes les personnes privées d’emploi seront concernées (et pas seulement les allocataires du RSA)

Si dans un premier temps seul·e·s les allocataires du RSA étaient dans le viseur, c’est désormais l’ensemble des privé·e·s d’emploi qui sont concerné·e·s par le texte. Ainsi, même les personnes déjà inscrites à Pôle Emploi pourraient se voir contraintes de signer un “contrat d’engagement” impliquant de “prendre part à des activités non-rémunérées”. Il en va de même pour les personnes en “contrat engagement jeune”, toutes celles bénéficiant de quelconque minima sociaux et même de celles en situation de handicap. Que l’on soit directement concerné·e·s ou pas, il est nécessaire de prendre conscience que ce sont bien des millions d’hommes et de femmes qui vont subir les conséquences de la réforme. 

On passe de 15h à “au moins 15h” d’accompagnement forcé

Sous l’impulsion des élu·e·s des Républicains, c’est aussi le quota d’heures d’activité obligatoires qui a été modifié. Il était originellement prévu de maintenir ce quota autour de 15h (jusqu’à 20h). Et les situations particulières auraient pû être prises en compte (parent isolé, handicap, maladies etc.). Pas assez contraignants pour les Républicains ! Désormais, le projet de loi fait référence à “au moins 15h d’activité obligatoire” et sans restriction haute. En théorie il n’y a pas de limite et certain·e·s demandeur·se·s d’emploi pourront travailler sans nouvelles contreparties jusqu’à 35h… pour toucher le RSA (soit environ 4.30€/heure). Les entreprises se frottent déjà les mains.  

Comme si cela ne suffisait pas, ces deux mesures (élargissement des publics concernés et augmentation du nombre d’heures d’activité obligatoires) sont accompagnées d’une série d’introductions au texte plus discrètes et plus pernicieuses qui laissent entrevoir un futur encore plus sombre pour les privé·e·s d’emploi. 

La voie est ouverte pour une mise en pièces du service public de l’emploi

Le projet de loi remet en cause le principe même de service public de l’emploi

Une série de petites mesures ont été introduites discrètement en Commission Mixte Paritaire. L’une dans l’autre ces mesures vont dans le sens d’une très nette recentralisation des décisions et des moyens aux dépens des agents de terrain. 
La refonte des différents services a clairement été perçue comme une opportunité de retirer des moyens d’actions aux agents dont la mission était réellement d’accompagner les personnes privées d’emploi. A terme, c’est l’État qui pourra décider des critères d’orientations pour décider de qui est un·e “bon·ne” chômeur·se et de qui est un·e “mauvais·e” chômeur·se et de ce qu’il convient de mettre en place pour accompagner l’un·e et pénaliser l’autre. 
Sur ces questions, l’offensive a déjà eu lieu en Commission Mixte Paritaire (dont est issu le projet de loi dans sa version actuelle). Par exemple, il n’est plus fait mention de ce qui était jusque-là un droit pour les privé·e·s d’emploi : celui d’être “accueilli, informé, orienté et accompagné par le Service Public de l’Emploi”. Les agents ne se chargeront plus non plus de vérifier que les offres d’emploi relayées sont bel et bien conformes au droit du travail. Peu importe si les privé·e·s d’emploi se retrouvent à devoir travailler en dessous des standards minimums du droit français.  

Sabordage du système : vers une privatisation du service public de l’emploi ? 

Les syndicats ont tiré la sonnette d’alarme dès le début du parcours législatif du projet de loi “plein emploi” : les moyens financiers prévus ne suffisent pas à couvrir les nouveaux besoins. Dès l’étape dite “d’expérimentation” dans certains départements, les agences manquaient déjà de moyens et d’effectifs. Et pourtant, à l’époque, seul·e·s les bénéficiaires du RSA étaient concerné·e·s. Or, avec l’élargissement à tous·tes les demandeur·se·s d’emploi, le nombre de personnes à “traquer” va au moins doubler. Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès, là où l’État prévoit 1 milliard par an, il en faudrait 10. La réforme n’est tout bonnement pas financée. Alors pourquoi cette obstination à vouloir faire adopter un projet de loi qui ne peut pas être appliqué sur le terrain ? Nous ne voyons que deux réponses possibles. 

Première hypothèse : le gouvernement veut profiter d’un effet de communication

Plutôt que de s’attaquer au vrai problème de l’éloignement de l’emploi, le gouvernement veut donner l’impression qu’il agit. Pour cela, quoi de mieux que de pointer du doigt une population déjà stigmatisée dans l’opinion ? Qu’importe si la réforme ne sera pas réellement mise en place. Qu’importe si cela implique une désorganisation des services publics de l’emploi. L’important c’est de faire infuser l’idée que les privé·e·s d’emploi ne se donnent pas les moyens d’améliorer leur situation et que le gouvernement va les y contraindre. Le tout sans avoir recours au 49.3 puisque les Républicains voteront le projet de loi.
Cette hypothèse est évidemment navrante de cynisme et d’hypocrisie. Mais, paradoxalement, elle est presque rassurante puisqu’elle impliquerait que cette réforme brutale ne sera pas entièrement mise en place. A moins que… 

Seconde hypothèse : le gouvernement organise la casse de Pôle Emploi  pour créer les conditions d’une privation

Avec ce projet de loi dite “plein emploi”, le gouvernement prévoit en conscience de faire retomber une charge de travail supplémentaire disproportionnée sur les agents du service public de l’emploi. Alors que les agents expliquaient déjà qu’ils et elles sont mal à l’aise à l’idée d’endosser un rôle de “flic de l’emploi”, on sait aussi qu’il leur sera impossible de faire face au flot de nouveaux dossiers (ceux des allocataires du RSA notamment). Tout est prêt pour créer les conditions d’une faillite généralisée du service pour livrer Pôle Emploi au privé. Après avoir organisé la saturation des services, nos dirigeant·e·s auront beau jeu d’arbitrer en faveur d’une privatisation présentée comme moins coûteuse et plus efficace. Naturellement des entreprises auront moins de scrupules à radier des personnes à l’aide d’outils numériques standardisés. Dans ce scénario, les conséquences sociales pourraient être désastreuses. 

La REV appelle à un réveil des consciences et renouvelle son soutien aux personnes privées d’emploi 

Si le projet de loi “plein emploi” a des chances d’être adopté en dépit de sa brutalité libérale c’est en grande partie parce qu’une majorité de la population en ignore encore son contenu réel. Face au silence des médias, la REV entend alerter l’opinion au-delà de ses membres. Pour cela nous comptons sur celles et ceux qui le peuvent pour relayer l’information. 

Nous sommes à un tournant du quinquennat. Avec ce projet de loi “plein emploi” - comme avec le projet de loi à venir sur l’immigration - nous voyons que le gouvernement commence à chercher l’approbation systématique du groupe des Républicains pour éviter le recours au 49.3. Cette stratégie de droitisation discrète risque de se pérenniser dans les mois à venir. Nous ne voulons pas de cette nouvelle donne politique ! Il est hors de question de laisser M. Ciotti imposer ses volontés dans les couloirs du Parlement. 

Quoi qu’il advienne, la REV continuera à lutter pour la dignité et la sécurité de toutes les personnes privées d’emploi. C’est à leurs côtés, et pas à leurs dépens, que des solutions peuvent être trouvées.

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wuillai

Dialoguons avec toutes les personnes privées d'emploi pour trouver des mesures d'accompagnement qui respectent leur dignité et leur sécurité.

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