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Par Brigitte Jelen, adhérente REV région Auvergne-Rhône-Alpes 

I'm all lost in the supermarket I can no longer shop happily I came in here for that special offer A guaranteed personality (The Clash, 1979)

Je suis atteinte d'un mal étrange et un peu ridicule: une peur panique et une perte de repères dans les très grands supermarchés, hypermarchés ou centres commerciaux. Dès que je commence à marcher dans ces allées remplies de milliers de produits semblables, j'ai la tête qui tourne, le coeur qui s'accélère, je panique, et je sors en oubliant ce que je voulais acheter... “Lost in the supermarket” diraient les Clash.  Ma phobie des centres commerciaux et autres hypermarchés a un avantage notable, surtout associée à l'absence de TV et une exposition minime à la publicité : elle réduit de façon importante ma consommation, ou en tous cas elle a pour effet de freiner tout désir de consommation frénétique. Au delà de l'anecdote personnelle, cette situation m'a donné envie d'écrire quelques mots sur notre rapport à la consommation et son impact sur notre vie.

La société de consommation

Je ne sais pas si les Clash avaient lu l'ouvrage majeur de Baudrillard, La Société de Consommation (1970) mais c'est tout à fait possible, la musique punk étant elle-même l'expression d'une critique anti-système et anti-capitaliste. C'est amusant de voir à quel point leurs paroles dans cette chanson se rapprochent du propos de Baudrillard, à savoir que nous consommons en grande partie pour essayer de définir notre identité, notre personnalité:  "I came in here for that special offer, a garanteed personality" (je suis venu pour cette offre spéciale, une personnalité garantie).  L'infinie diversité des produits présentés dans les rayons des hypermarchés (ou les boutiques du centre commercial) nous donnent en effet l'impression d'avoir un choix, renforcent notre impression de contrôler la situation, et d'avoir une identité de consommateur unique et originale, d'autant plus que ces produits incluent maintenant du “bio” ou du “local” ou du “équitable”. Bref, c'est tellement complet qu'il y en a pour tous les goûts, tant que l'on accepte les règles du système, carte de fidélité du magasin comprise...

Consommer / Posséder moins

Néamoins, une autre question se pose au consommateur conscient du 21e siècle: quel est l'impact de ma consommation (en général, “bio/équitable” ou non) sur le monde autour de moi? Que se passerait-il si je consommais beaucoup moins? Que se passerait-il si je possédais moins? Et si au lieu de nous comporter comme les propriétaires tous puissants de notre planète, nous nous comportions comme des locataires respectueux? La question est de réduire drastiquement notre empreinte, de nous rendre discrets, on change de paradigme.  Baudrillard ne voyait pas de sortie politique ou même individuelle du système de consommation de masse. Le propos général de son livre est plutôt pessimiste et fataliste, et quand on regarde autour de nous on serait tentés de le croire sur parole. Jamais la consommation n'a été aussi effrenée que maintenant, d'un bout à l'autre de la planète.

Et la majorité de ceux qui consomment peu, le font parce qu'ils n'ont pas les moyens de consommer plus, et non parce qu'ils l'ont choisi.   Et pourtant, comme nous le voyons chaque jour dans les nouvelles sur le climat, la disparition de faune sauvage ou la pollution des océans par le plastique, il y a urgence! Si nous ne changeons pas notre comportement très rapidement... il n'y aura plus rien à consommer dans quelques décennies. Nous aurons tout gâché par gloutonnerie.

Prendre conscience de la quantité (et non seulement de la qualité) de sa consommation est un travail personnel de longue haleine et constant. C'est le principe à la base du co-voiturage, des livres-voyageurs, des ventes d'objets en seconde main, et autres opérations de troc. Réduire la production d'objets nouveaux en recyclant les objects utilisés par d'autres, adopter les animaux plutôt que d'inciter à de nouvelles naissances, louer ou partager plutôt que d'acheter, toutes ces pratiques nous rendent aussi moins dépendants de notre insatiable désir de possession.

La décroissance

Développé en 1972 par le groupe de réflexion international le Club de Rome, le concept de décroissance entend répondre aux problèmes de la société de consommation et son impact sur l'environnement en pronant un ralentissement de la croissance économique et industrielle. Partant de l'axiome de base "On ne peut plus croître dans un monde fini", il implique un changement de mode de vie et notamment l'adoption de la "simplicité volontaire" - une vie donnant plus de place aux joies non-matérielles de la vie sociale, familiale et une meilleur qualité de vie plus généralement.  Le rapport Meadows produit par le Club de Rome en 1972 et réactualisé en 2012 (1) prédit un essouflement très rapide des ressources de la planète si les humains ne changent pas leurs habitudes. Les publications, déclarations se multiplient en Europe depuis une quinzaine d'années, et notamment en France on peut citer le travail d'André Gorz, Serge Latouche, ou encore Yves Cochet ainsi que de nombreux autres comme Pablo Servigne, Cyril Dion .

Retrouver la liberté de dire “non”

En conclusion, l'urgence écologique dans laquelle se trouve notre planète nous pousse à prendre de plus en plus conscience de nos actes et à devenir vraiment responsables. Le vrai responsable est au bout de la chaine de production, car «le client est roi». Si la consommation s'arrête, la production s'arrêtera aussi, tout simplement. Nous avons entre nos mains – et nos porte-monnaies – toutes les clefs pour changer notre avenir. Baisser notre consommation, choisir en toute conscience, après réflexion, ce que nous voulons consommer et posséder est une forme de résistance passive au système capitaliste dans son ensemble, que le REV encourage. C'est le “non” que Baudrillard ne pouvait pas imaginer.

(1) Voir le Rapport Meadows publié en 1972 intitulé “The Limits to Growth – Les limites de la croissance”. Et réactualisé en 2012 

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