
ZFE, une écologie et une vision des mobilités au détriment des plus modestes?
Le 13/02/25
Article rédigé par Ben Desurmont, diplômé en géographie et aménagement du territoire, co-référent de la REV pour le département du Rhône
ZFE, une écologie et une vision des mobilités au détriment des plus modestes?
Depuis le 1er janvier 2025, ce sont 30 agglomérations qui doivent établir un périmètre de Zone à Faibles Émissions (ZFE). Une obligation jugée nécessaire compte tenu de la pollution générée par les véhicules thermiques mais qui s’accompagne d’une injustice fondamentale qui va toucher les populations déjà précaires. Et s’il ne s’agissait pas là d’une manœuvre afin de saborder toute politique écologiste ?
L’urgence climatique nécessite des actions drastiques…
L’année 2024 est l’année la plus chaude jamais enregistrée. Et le fait est que la question écologique reste très peu abordée par les gouvernements successifs. L’actualité évoque également toujours très peu les affres de l’urgence climatique, sauf lors d'événements majeurs et tragiques tels que le cyclone Chido à Mayotte, avec ses vents à 225km/h occasionnant un bilan humain tragique, ou encore les inondations qui ont eu lieu en Espagne, dans la région de Valence et quelque temps auparavant dans le département de la Haute-Loire.
Toutes les mesures possibles et imaginables devraient être prises en compte afin de limiter les dégâts et agir sur nos mobilités. Ce sont 16% des GES qui sont par exemple imputables aux automobiles. Et alors que 80 à 85% des ménages sont équipés d’une voiture, il y a seulement 3 générations, ces dernières étaient très rares. En 1950 encore, la marche était au cœur de nos déplacements et rythmait les vies.
Les voitures sont omniprésentes dans nos vies
Et pourtant, les voitures qui sont aujourd’hui sur-représentées dans nos espaces restent 23h/24 stationnées, et 9 personnes sur 10 les empruntent seules, sans passager, pour leur trajet domicile-travail. Un phénomène que l’on appelle l’autosolisme. Tout un chacun peut en faire le constat en observant les automobilistes sur la route. Dans la grande majorité des cas, on retrouve un véhicule d’un poids moyen d’1,5 tonne (si ce n’est largement plus) déplaçant une personne de moins de 100 kg.
Parallèlement, les externalités négatives liées à la voiture sont étayées par un nombre sans cesse croissant d’études, on pense bien évidemment aux 48 000 décès occasionnés par an à cause de la pollution atmosphérique dont une large part est liée aux véhicules thermiques. Les enfants et personnes asthmatiques battent aussi des records et sont aujourd'hui 4 millions.
Mais il y a aussi la question de la pollution sonore liée à ces véhicules qui engendre un risque sanitaire non négligeable. Selon l’OMS, le bruit est le deuxième facteur environnemental le plus important à l’origine de problèmes de santé, juste après l’impact de la pollution atmosphérique via les particules. Un aspect bien souvent ignoré.
La voiture occupe nos espaces mais aussi notre quotidien. Rares sont les personnes qui ont le luxe d’utiliser un autre mode de déplacement alors que 72% des Françaises et Français vont travailler chaque jour en voiture (chiffres de la CGDD, SDES, enquête “mobilité des personnes” en 2019). Aujourd’hui nous devons faire face à une véritable dépendance à la voiture. Et encore la situation est moins dégradée en Europe qu’elle ne l’est en Amérique du Nord ou le culte porté à la bagnole atteint encore un autre niveau. Dans notre vieille Europe, on entend souvent parler des Pays-Bas et du Danemark qui auraient très tôt fait des choix d’aménagements du territoire où la voiture n’est pas au cœur des mobilités, avec le vélo qui, lui, est placé sur un piédestal. C’est un fait, et nous avons près de 70 ans de retard en France.
Et pourtant ce constat et ces lignes que j’écris aujourd’hui n’ont rien de nouveau, je dressais le même constat il y a bientôt 10 ans et nombre de personnes l’ont fait bien avant moi. Il faut renverser le rapport de force dont bénéficie la voiture : elle doit à terme devenir occasionnelle et non plus quotidienne.
Alors pourquoi critiquer les ZFE qui semblent enfin être le résultat d’une politique volontariste afin de faire baisser les émissions dûes au tout-automobile ?
Les plus modestes ne devraient pas payer la facture
La raison est simple : cette politique des ZFE liée aux vignettes Crit’air mène bon nombre de personnes précarisées dans une nouvelle précarité liée aux mobilités. En 2022, on comptait déjà un total de 13,3 millions de personnes en situation de ce que l’on nomme la “précarité mobilité”. Aux problèmes d’achats alimentaires, de logements et autres, s’additionne la question de la voiture qu’il faut remplacer. En 2035, alors que les voitures thermiques ne sortiront plus des usines, l’idée est de remplacer aux cours des années suivantes les 38 millions de véhicules au pétrole qui peuplent nos routes. L’objectif est louable, mais il nécessite des aides importantes pour que les gens puissent renouveler leur véhicule.
Là où le bas blesse, comme évoqué en amont, c’est dans la vignette Crit’Air. Cette dernière est liée aux émissions de particules fines et non aux émissions de GES émises dans leur ensemble. Ainsi de nombreuses personnes s’insurgent de voir leur petite voiture diesel qui a plus de 15 ans être classée Crit’Air 3 - et être donc dans l’interdiction de rouler dans Montpellier, Lyon, Paris - alors que des SUV roulant au pétrole et produisant beaucoup plus de GES n’ont aucune restriction. Cela occasionne une incompréhension assez conséquente de la part du public, et une colère tout à fait légitime. Agir contre les particules fines est en effet nécessaire mais cela devrait être couplé à une lutte contre les SUV ainsi que les voitures qui sont toujours plus grosses et productives de GES.
Les gens sont déjà soumis à une précarité toujours plus inquiétante. En septembre 2024, le baromètre établi par Ipsos et le Secours Populaire estimait que 40% des Françaises et Français ont connu une situation de précarité au cours de l’année, soit le plus haut taux depuis 2013. Ainsi, compte tenu de cette situation, pouvoir espérer changer de véhicule pour avoir une auto moins polluante semble impossible pour la majorité des ménages. Pourtant les aides manquent cruellement pour accompagner les personnes vers de nouveaux véhicules. Idéalement, il faudrait se tourner vers des véhicules électriques, et ce qu’on appelle des véhicules intermédiaires (c’est-à-dire des mini voitures, des voiturettes, des vélos cargos, des vélos-voitures, des vélos à assistance électrique). Par ailleurs, il paraît bienvenu de préciser que les véhicules électriques, loin d’être parfaits, occasionnent aussi des catastrophes écologiques et sociales, par exemple au Congo et au Maroc.
Réduire la place de la voiture, oui mais pas n’importe comment
Vous l’aurez noté, ce titre ne s’intitule pas “réduire la place de la voiture thermique”. Et pour cause : comme le titre justement Aurélien Bigo (docteur, auteur d’une thèse sur les transports face au défi de la transition électrique) dans son ouvrage Voitures : “L’avenir de la voiture est électrique, mais la voiture n’est pas l’avenir de notre mobilité”.
Néanmoins, c’est vers cette dernière que nous devrions faire évoluer le parc automobile dans un premier temps. Plutôt que d’envoyer des millions de voitures thermiques à la casse, il suffirait de changer le moteur de celles-ci pour y mettre un moteur électrique. Faire ce que l’on appelle du rétrofit. Un procédé qui est malheureusement trop peu soutenu par les instances étatiques. Pourtant le coût environnemental d’un rétrofit est moindre puisque l’on ne crée pas un nouveau véhicule de A à Z, exit par exemple les coûts en métaux pour la carrosserie du véhicule.
Si l’augmentation du prix à la pompe a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et a jeté nombre de Gilets jaunes dans la rue, il est fort possible que ces ZFE, qui ne sont que trop peu accompagnées d’aides, jettent à nouveau un nombre croissant de personnes dans la rue pour manifester contre le gouvernement. Tout n’étant que choix politiques comme bien souvent, d’autres décisions plus éthiques pourraient être réalisées. Un exemple parmi tant d’autres serait une nationalisation des autoroutes. C’est sur ces dernières que des entreprises privées réalisent des profits conséquents. Les profits pourraient ensuite être redistribués sous forme d’aides à la population afin de faire évoluer le parc de véhicules. L’on pourrait également évoquer la suppression des niches fiscales du secteur aérien qui représentent 9 milliards d’euros d’après le Réseau Action Climat, dont 4,7 milliards rien qu’avec une taxation du kérosène.
Il est aussi urgent de tordre le bras des entreprises automobiles afin qu’elles cessent de produire toujours plus de SUV et des prix toujours plus exorbitants. L’heure est aux véhicules légers, intermédiaires et électriques.
Malheureusement, au lieu d’accompagner du mieux possible les personnes vers d’autres véhicules et de renforcer les alternatives à l’usage de la voiture individuelle, l’État choisit par exemple en 2025 de réduire ce qu’on nomme le “bonus écologique” pour changer de véhicule et pratique une politique écologiste qui précarise toujours plus les gens. Ces ZFE sont-elles le reflet d'une manœuvre politique afin de décrédibiliser l’écologie auprès du public ?
Rappelons que dès 2007 et le Grenelle de l’Environnement, il avait été acté que construire de nouvelles routes et autoroutes était un non-sens pour la planète. Un énième document pavé de bonnes intentions mais non contraignant et sans mesures concrètes. C’était il y a 20 ans, et le non-sens continue d’ailleurs aujourd’hui, avec par exemple l’A69 entre Toulouse et Castres.
Construire de nouvelles routes c’est garantir toujours plus d’espace à de gros véhicules, des tanks que sont les SUV. De nouvelles routes d’une stupidité sans pareil et qui ne font parfois gagner que quelques minutes sur un ancien itinéraire, à l’instar de celle que l’on nomme “la route à Wauquiez” réalisée en Haute-Loire, un projet décrié rasant 140 hectares de terres agricoles et naturelles pour gagner 2 à 3 minutes en voiture.
Il est par ailleurs intéressant de relever les propos de l’activiste écologiste ougandaise, Vanessa Nakate, qui évoque dans son ouvrage Une écologie sans frontières que nombre de nos véhicules thermiques européens vont se retrouver à rouler sur les routes du continent africain. Le problème n’en sera que partiellement déplacé. Localement, la pollution ne sera plus présente en Europe mais en Afrique, et paradoxalement, toute la planète sera toujours impactée par ces véhicules. Bien avisée de cela, à la REV nous portons une vision d’un monde débarrassé des frontières et une écologie radicale qui prend en considération tout un chacun. Nous sommes toutes et tous sur le même bateau, sur la même planète.
La solution : une écologie radicale et anticapitaliste qui englobe le vivant dans son ensemble
Il apparaît urgent de pointer les incohérences de ces ZFE, de ne pas mener une politique qui va à l’encontre des personnes les plus précaires. Rappelons également que la France ne fait pas figure d’exception et qu’en Europe on totalise près de 320 ZFE. Oui, il faut réduire le parc automobile, oui l’urgence climatique est là mais il faut néanmoins activer les bons leviers pour mener une écologie radicale qui englobe toute la population. Au lieu de s’en prendre aux personnes précaires, nous devons lutter contre celles et ceux qui polluent le plus, les riches. Luttons, repensons nos espaces, l’urbanisme et nos territoires de A à Z, instaurons la gratuité des transports en commun, investissons grandement dans le maillage du territoire et agissons pour un monde où l’autosolisme est l’exception et non la règle, et où ce sont les déplacements à pied, à vélo et en transport en commun qui sont la norme.
Sources:
Aurélien Bigo. “Voitures”. Tana Editions, coll. Fake? or Not. 2023
Environnemental European Agency - La pollution sonore: un problème d’envergure tant pour la santé humaine que pour l’environnement
<https://www.eea.europa.eu/fr/articles/la-pollution-sonore-un-probleme >
Franceinfo - Quelle a été l’influence du réchauffement climatique sur le cyclone Chido, qui a ravagé Mayotte ? <https://www.francetvinfo.fr/meteo/cyclone-ouragan/cyclone-chido-a-mayotte/quelle-a-ete-l-influence-du-rechauffement-climatique-sur-le-cyclone-chido-qui-a-ravage-mayotte_6962345.html>
Libération - Baromètre de la précarité: 40% des français ont connu une situation de pauvreté cette année, plus haut niveau depuis 2013
<https://www.liberation.fr/economie/social/barometre-de-la-precarite-40-des-francais-ont-connu-une-situation-de-pauvrete-cette-annee-plus-haut-niveau-depuis-2013-20240912_BWN5R5DILJGR3OHMCXCSFG3VAA/ >
Réseau Action CLimat “Comment réduire le traffic aérien de manière et juste et efficace ? Evaluation de 9 mesures concrètes” <https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2024/09/rac-trafic-aerien-web.pdf>
Stéphane Boyer. “Des quartiers sans voitures, de l’audace à la réalité”. Editions Somme Toute. 2023
Reporterre - Alexandre-Reza Kokabi, NnoMan Cadoret - Les ZFE, une bombe sociale dans les quartiers populaires
< https://reporterre.net/Les-ZFE-une-bombe-sociale-dans-les-quartiers-populaires >
Ver.eco - Anne-Claire Poirier. De plus en plus de Français sont touchés par la précarité mobilité
<https://vert.eco/articles/de-plus-en-plus-de-francais-sont-menaces-par-la-precarite-mobilitep >
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