
Commission européenne : Halte à la volonté délirante d’exterminer les loups
Le 08/09/23
Par Carine Sandon, coréférente REV Bourgogne Franche-Comté
Suite aux propos tenus par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, lundi 4 septembre, affirmant que le loup est un « réel danger pour le bétail et potentiellement pour l’homme » en Europe, le parti de la Révolution écologique pour le vivant (REV) souhaite rappeler que la coexistence avec tous les grands prédateurs est non seulement possible, mais souhaitable. Le fond de cette tribune est clair : il est temps d’en finir avec la haine à tout prix de la nature.
Lundi 4 septembre, Ursula von der Leyen a tenu des propos particulièrement irréalistes sur le loup avant d’annoncer - ce qui est encore plus grave - une possible révision du statut de protection de l’espèce protégée en Europe. « La concentration de meutes de loups dans certaines régions européennes est devenue un réel danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme », a-t-elle ainsi affirmé dans un communiqué. Dans la foulée, la Commission européenne appelle « les communautés locales, scientifiques et toutes les parties intéressées à soumettre, d’ici au 22 septembre, des données actualisées sur les populations de loups et leurs impacts ». L’exécutif communautaire pourrait ensuite décider de « modifier, le cas échéant, le statut de protection du loup au sein de l’UE [datant de 1992] ». Voilà les propos totalement dénués de rigueur scientifique de Madame Ursula von der Leyen, qui ne font qu’attiser un débat déjà fort passionné et dont les conséquences en termes de protection de la nature risquent d’être catastrophique.
Une méconnaissance complète de l’espèce loup
Arrêtons-nous tout d’abord sur la notion de « concentration de meutes de loups » dont fait état la présidente de la Commission européenne. Bien évidemment, dans le cadre d’un discours purement politicien, il ne fallait sans doute pas s’attendre à obtenir des informations scientifiques. Le doute que laisse planer Ursula von der Leyen n’est pas anodin. Soit la présidente de la Commission parle de concentration de meutes de loups sur un même territoire, ce qui est scientifiquement erroné (les luttes pour les territoires entre meutes pouvant être d’ailleurs très violentes, voire mortelles pour les individus concernés), soit elle suggère que les meutes sont désormais trop nombreuses sur l’ensemble d’un ou plusieurs pays au sein de l’Union européenne. Dans tous les cas, on s’interroge sur les sources et les études scientifiques qui pourraient aller en ce sens. N’avions-nous pas déjà entendu ce discours, en France, concernant le massif jurassien, où certaines personnes du monde agricole [1] criaient à la surpopulation du loup alors que l’on ne dénombrait que deux meutes sur tout le massif (soit 22 686 km2 partagés entre la Suisse et la France)[2] ?
La peur irrationnelle du loup
Le bétail ne semble pas être la seule proie potentielle du loup, d’après la présidente de la Commission européenne. Cette dernière rallume explicitement la peur ancestrale du loup et de la bête fauve et féroce qui viendra peut-être dévorer prochainement nos enfants. Ce que, jusqu’ici, seuls des éleveurs et chasseurs extrémistes avaient oser faire[3]…
Rappelons tout simplement que les attaques de loups dans le monde ne font qu’une dizaine de morts par an. En France, la dernière attaque mortelle remonte à 1918, période durant laquelle la rage était encore bien présente sur notre territoire. Alors que le chien est responsable, quant à lui, d’environ 25 000 morts par an dans le monde[4]. Et que dire des morts engendrées par l’homme sur l’homme : plus de 480 000 personnes tuées chaque année, en ne comptabilisant que les homicides et les conflits armés[5]…
Des recommandations scientifiques balayées d’un revers de main
Mais revenons-en à nos moutons. La réinstallation progressive du loup en Europe est une chose qui doit être acceptée et appréciée de manière positive. Nous ne pouvons plus aujourd’hui nier les urgences environnementales et les recommandations scientifiques sur le sujet.
Antoine Peillon l’a déjà écrit : « Cette année (2023), l’estimation d’une population nationale [en France] de 906 loups par les services de l’État fait apparaître, pour la première fois depuis 1992, une baisse inquiétante, après une année 2022 au cours de laquelle 162 loups ont été tués lors de tirs légaux dérogatoires aux règles européennes et internationales concernant cette espèce protégée. Ce nombre record de tirs est accompagné d’une hausse évidente des destructions totalement illégales (braconnages, empoisonnements…) clairement impunies. »[6]
Et comme l’a rappelé le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) à l’État français, dans son avis du 23 mai dernier[7], le seuil de viabilité démographique et écologique de l’espèce, permettant sa viabilité à long terme, est estimé à 500 « individus potentiellement reproducteurs » et non pas à « 500 individus », comme souvent affirmé. Ce seuil n’étant pas atteint à ce jour, l’espèce ne peut être considérée comme ayant atteint un statut de conservation favorable en France. Ni, par ailleurs, dans le restant de l’Europe.
Inutilité des tirs létaux : un consensus scientifique
Ajoutons que ce même CNPN recommande constamment à l’État français que « l’effarouchement, les tirs de défense et de prélèvement soient interdits dans toutes les réserves naturelles, nationales et régionales et non pas uniquement dans les seules réserves naturelles nationales créées pour la conservation de la faune sauvage et les cœurs de tous les Parcs Nationaux, y compris ceux où la chasse est, ou serait, autorisée, la destruction des loups relevant d’un régime dérogatoire à la protection et non pas de la chasse, ces espaces devant demeurer par ailleurs des sanctuaires notamment pour la faune sauvage ».
L’organisme expert complète en insistant pour que soit menée une politique plus équilibrée en faveur de la population de loups et attend que les actions/études prévues au plan national d’action (PNA) sur le loup allant dans ce sens soient rapidement mises en œuvre.
Précisons que les tirs létaux, réalisés souvent en totale méconnaissance ou mépris des meutes et de leurs structures sociales, peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les loups, mais aussi pour les animaux domestiques. En effet, il a été démontré que tuer certains individus des meutes (notamment les adultes) pouvait avoir un impact sur la chasse réalisée par les autres individus et entraîner alors des comportements de surplus-killing ou encore avoir un impact de compensation sur le taux de natalité[8].
Le quotidien Le Monde l'avait déjà relevé, en mars 2022. L'efficacité des tirs dit "de défense" pour protéger les troupeaux a été étudiée dans une thèse soutenue en novembre 2021 par Oksana Grente, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive et de l’OFB – première étude française sur le sujet. « Conclusion : dans les trois mois suivant le tir, la prédation diminue dans le secteur pour seulement un tiers des massifs étudiés, elle stagne pour une bonne moitié d’entre eux, et augmente pour le dernier... »
Largesses financières européennes et impunité
Ce mépris de l’espèce loup, qui relève en vérité de la haine de la nature, semble n’être que l’arbre qui cache la forêt des largesses accordées par les États et l’Union européenne aux éleveurs et de l’impunité réservée aux activistes agricoles ou chasseurs qui braconnent l’espèce protégée. En effet, il est clair qu’aujourd’hui, sous le poids des lobbies agricoles et de la chasse, le loup est devenu une véritable manne financière pour les éleveurs[9], puisque ces derniers sont subventionnés - en sus des subventions liées à leurs exploitations - pour mettre en œuvre des moyens de protection (aide-berger, chiens, clôture de protection, etc.). Sans parler des associations de protection de la faune sauvage qui multiplient les formations de bénévoles afin d’assurer la surveillance de nuit des troupeaux dans les massifs montagneux, au lieu et place des bergers ou vachers : une économie de plus pour les exploitations agricoles qui délèguent - lorsqu’elles font preuve de bonne foi - le travail d’un ouvrier agricole à des bénévoles.
Ces conflits animaux domestiques/animaux sauvages ne doivent pas nous faire oublier que nous sommes à l’origine d’espèces aujourd’hui incapables de se protéger par elles-mêmes.
Quant aux conflits avec les agriculteurs dont fait mention la présidente de la Commission européenne, ils ne font que mettre en exergue, à titre d’exemple national, l’impunité que l’État français assure aux « agriculteurs en colère ». On ne citera ici que deux faits divers : celui d’une louve retrouvée pendue devant la mairie de Saint-Bonnet-en-Champsaur, en 2021, pur acte de braconnage sur une espèce strictement protégée à ce jour impuni [10]; ou ces journalistes et militants écologistes qui ont été molestés par des agriculteurs lors d’un tournage de France 3, dans le Doubs, en octobre 2021, actes toujours impunis également.
Une gestion positive chez nos voisins européens
L’Espagne et l’Italie pourraient faire preuve de modèles pour mener à bien cette réflexion de la cohabitation avec les loups. Ces derniers n’ayant jamais complètement disparu de ces pays, les relations entre l’État et les éleveurs sont plus constructives et ces derniers semblent bien plus enclins à se doter de moyens de protection que leurs homologues français. Avec plus de 2000 loups en Italie et plus de 3000 en Espagne, pour un nombre égal ou supérieur d’ovins (7 millions en France comme en Italie, 14 millions en Espagne), ces deux pays nous montrent qu’une coexistence est envisageable, même si des cas de braconnage et des « régulations » de l’État y restent à déplorer.
Le loup, faire-valoir électoral ?
Cette problématique loup ne viendrait-elle pas au bon moment pour Ursula von der Leyen ? En effet, celle qui présentera son bilan de mandat d’ici quelques jours au Parlement européen, à Strasbourg, est déjà en campagne et multiplie les contacts avec les chefs de gouvernement. Elle a d’ailleurs rendu visite à Emmanuel Macron jeudi dernier. Elle qui a besoin du soutien de la droite conservatrice allemande proche du milieu rural et de la chasse, affiche clairement sa position sur un sujet tout aussi passionnel en Allemagne, à la veille des élections européennes (2024).
Respect de la coexistence
Le loup, cet animal fascinant qui a longtemps alimenté nos contes et légendes, semble toujours être au cœur de débats passionnels, mais il devient impératif de prendre du recul et de réfléchir à la nécessité de protéger cette espèce emblématique. La protection du loup ne doit pas être l’affaire de quelques pays seulement, mais de toute l’Europe. Les loups ne connaissent pas de frontières et leur conservation nécessite une coopération transnationale. Appuyons-nous sur des exemples concrets chez nos voisins italiens ou espagnols, pour développer une véritable politique commune de protection de ces prédateurs.
Il est de notre devoir d’accepter que l’homme ne doit plus « maîtriser » la nature dont il fait partie. Il est temps de mettre fin à cet anthropomorphisme à tout prix.
En fin de compte, la question de la protection du loup en Europe ne se résume pas seulement à la survie d’une espèce. C’est une question qui concerne notre engagement en faveur de la biodiversité, notre responsabilité envers les générations futures et notre capacité à coexister harmonieusement avec la nature qui nous entoure. C’est notre inscription - voire notre propre survie - dans l’ensemble du vivant qui est en jeu.
[2] https://www.doubs.gouv.fr/Publications/Salle-de-Presse/Communiques-de-presse/Annee-2021/Suivi-des-populations-de-loups-dans-le-massif-du-Jura-franco-suisse
[3] On pense, entre autres, aux propos tenus par Willy Schraen, politicien, président de la Fédération nationale des chasseurs depuis août 2016, au journal La Presse pontissalienne : « Il faut réguler les loups avant qu’un enfant se fasse dévorer ! », en mai 2022.
[4] https://www.worldatlas.com/animals/10-animals-that-kill-the-most-humans.html
[6] https://lejacquemart.com/2023/08/25/haine-de-la-nature/
[7] https://www.avis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023-11_avis_arrete_cadre_loup_arrete_plafond_loup_cnpn_du_24_05_2023.pdf
[8] https://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=3833, p.146.
[9] https://www.liberation.fr/debats/2019/09/11/loup-entre-mensonges-violences-agricoles-et-bienveillance-de-l-etat_1750230/
[10] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/hautes-alpes/hautes-alpes-une-louve-retrouvee-pendue-devant-la-mairie-de-saint-bonnet-en-champsaur-2265322.html
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